L'Aquitaine

 

"Nous appelons ici France tout le pays qui est au-delà de la Loire. Celui-ci passe comme une province étrangère." (Racine, depuis Uzès)

 

Historiquement, l'Aquitaine est une grande entité, entre Loire et Pyrénées, qui s'est continuellement opposée à la France (Paris).

Géographiquement, l'Aquitaine correspond au Bassin Aquitain qui est un des 3 grands bassins sédimentaires français; il est séparé du Bassin Parisien par le seuil du Poitou (col entre le Massif Central et le Massif Armoricain), et du Bassin Méditerranéen par le seuil de Naurouze (col entre Massif Central et Pyrénées). Il est donc entouré du Massif Central et des Pyrénées, et limité par le Marais Poitevin au nord, qui touche presque le Massif Armoricain. Le climat est tempéré, "sud atlantique", avec des pénétrations méditerranéennes. L'ensoleillement est maximal vers l'île d'Oléron et équivaut celui d'Avignon. Les températures sont assez homogènes d'Angoulême à Toulouse; chaudes, elles tranchent nettement avec celles du Bassin Parisien (qui commence à Poitiers) ou de la Bretagne.

Il y a 4000 ans, cette région était peuplée par les Ligures, qui ont repoussé les Magdaléniens dans les Pyrénées et le pays basque. Malgré le limes construit par les Ligures du Poitou à la Suisse, les Celtes sont venus par le Nord-est jusqu'à la Garonne. De l'autre côté de ce fleuve, des peuples ibères avaient aussi envahi l'Espagne et franchi les Pyrénées, et César distingue la Celtique et l'Aquitaine, séparées par la Garonne. Quant aux anciens habitants (Ligures et Magdaléniens), ils s'étaient réfugiés dans les Pyrénées occidentales, qui est devenu le pays basque, seul endroit d'Europe épargné par les invasions indo-européennes, Celtes au nord et Ibères au sud.

Aquitaine romaine

La véritable histoire bien connue de l'Aquitaine commence avec les Romains, qui, avec le général Publius Crassus, lieutenant de Jules César, la rattache à l'Empire naissant et achève la conquête de la Gaule. L'Aquitaine actuelle (au sud de la Garonne) s'appelle alors la Novempopulanie (9 peuples), suite à un traité de protection de ces tribus contre les Celtes (illusoire, car c'était les Romains les maîtres: ce traité est en latin). Sinon, la province romaine d'Aquitaine est créée par Auguste et s'étend de Bourges aux Pyrénées- voir carte détaillée.

Elle est vite devenue une des provinces les plus riches de l'Empire Romain, et nombre de Romains (ou Gallo-romains) aisés y possédaient leur villa (ou domaine). Les capitales successives ont été Saintes (Mediolanum Santonum) puis Bordeaux (Burdigala), avec parfois Poitiers (Lemones), villes fondées par les Romains. Ces villes ont eu des monuments magnifiques, comme par exemple le palais Gallien à Bordeaux, ou à Saintes l'arc de triomphe (pour Agrippa), ou l'amphithéâtre, le plus grand de Gaule.

Les richesses principales de l'Aquitaine étaient: la vigne (implantée par les Romains), les huîtres, le bois, les céréales, le sel, et surtout la douceur de vivre. Les huîtres étaient exportées vers l'Italie à bord de charriots en bois conditionnés (elles devaient arriver vivantes), avec haltes dans des bassins d'eau de mer implantés le long de la route. Elles provenaient, comme de nos jours, d'Arcachon et des pertuis charentais (Portus Santonum, Brouage, Golfe du Poitou, aujourd'hui comblé en Marais Poitevin).

Angoulême (Iculisma) a été fondée vers cette époque (en 330), après séparation de la cité des Santons (Saintes), car elle occupait un lieu stratégique (oppidum dominant la Charente). Le premier évêque fut Ausone, et la première cathédrale était dédiée à Saint-Saturnin (martyre à Toulouse, devenu St-Cernin).

Mais en 406 eurent lieu les entrées barbares, et l'effritement de l'Empire Romain d'Occident: les Wisigoths, les Vandales, les Alains, les Suèves ont successivement pillé et dévasté la région.

En 418, les Wisigoths (avec Alaric) ont été implantés en Aquitaine Seconde (entre Loire et Garonne) par les Romains, suite à un traité (feodus), mais les Wisigoths ont conquis toute l'Aquitaine jusqu'aux Pyrénées en 439 et sont devenus indépendants. Leur capitale était Toulouse. Ils se sont ensuite étendus dans toute l'Espagne, et en Septimanie (actuel Languedoc).

Mais les Goths étaient ariens, et ont persécuté le clergé local (catholique). Nombre d'exils d'évêques ont eu lieu, et les Wisigoths ont implantés leurs évêques.

En 507, les Francs (Clovis) envahissent l'Aquitaine jusqu'à Toulouse, et repoussent les Wisigoths en Espagne et en Septimanie. La ville d'Angoulême, assiégée à l'aller, ne sera prise qu'au retour par Clovis (qui s'y est cassé une jambe). L'évêque Aptone est mis en place par Clovis, et une cathédrale dédiée à St-Pierre est constuite. L'extrême sud-ouest de l'Aquitaine (la Novempopulanie) sera épargnée par les Francs, et laissera place aux Vascons qui descendront des Pyrénées (Basques), d'où le nom Gascogne (Wasconie), comme Waïfre s'est appelé Gaifier.

Il faut remarquer que le fils de Sidoine Apollinaire s'était battu aux côtés des Wisigoths contre Clovis. Il avait amené des renforts de cavalerie d'Auvergne. Le roi wisigoth Alaric II est tué pendant la bataille de Vouillé.

Depuis cette époque, l'Aquitaine a toujours été en lutte contre les Francs, qui voulaient s'en accaparer les richesses. Les Francs ont toujours été considérés comme des barbares par les Aquitains, qui se disaient plutôt romains (et préféraient les Wisigoths, plus civilisés, et finalement tout aussi catholiques à leurs yeux, malgré leur arianisme).

Mais en 721, il y a eu aussi un 2ème front, au sud celui-là: les Arabes. Eudes, chef de l'Aquitaine à l'époque, a réussi à les repousser à Toulouse, en 721 (victoire bien plus significative que 732, car c'était la première défaite des Arabes en Europe occidentale).

Mais Eudes était aussi en lutte contre les Francs, et ceux-ci ont accusé Eudes de traîtrise lorsque celui-ci les a laissé passer en 731, après pourtant une dure bataille près de Bordeaux. Mais les Arabes étaient passé cette fois par les Pyrénées occidentales (pays basque ? col du Somport ?), et leur général Abder-Rahman a d'abord battu les Vascons, avant d'affronter l'armée diminuée d'Eudes qui comptait sur ces derniers.

Parenthèse: ce serait aussi par le col du Somport que seraient passés Hannibal et ses éléphants, ou tout simplement par le Perthus, ou le col de la Perche (?)
l'Aquitaine sous Eudes

On sait ensuite que les Arabes ont été stoppés en 732 par les Francs (Charles Martel), au sud de Tours. Celui-ci a ensuite continué sur sa lancée pour dompter l'Aquitaine.

C'est vers cette époque qu'est née la langue d'oc, qui comprenait l'Aquitaine des Pyrénées au seuil du Poitou (sauf le pays basque). Dans le domaine de la langue d'oc, il y a aussi l'auvergnat, le provençal, ainsi que le catalan. La langue d'oc s'appelait alors le roman, langue populaire du sud de la France, en descendance directe du latin, par opposition au français (ou langue d'oïl) de l'Ile-de-France, langue policée par les Francs et les Normands dans sa prononciation.

Blason occitan

Les princes-rois aquitains de cette époque (8ème siècle) furent successivement Eudes, Hunald et Waïfre, qui se sont successivement opposés aux Francs Charles Martel, Pépin le Bref, et Charlemagne.

L'Aquitaine a définitivement perdu son indépendance en 781, avec Charlemagne. Le roi d'Aquitaine était ensuite directement nommé par le roi de France, et un duc siégeait à Toulouse ou à Poitiers.

Nous ne parlerons pas beaucoup des Vikings, qui ont pillé un peu partout toute l'Europe (vers 800) et en particulier les richesses de l'Aquitaine, principalement en remontant les cours d'eau. La famille Taillefer d'Angoulême se sont taillé un nom à cette époque (Guillaume Taillefer aurait coupé un viking en deux de haut en bas d'un seul coup d'épée). Les Vikings (ou "Normands") se sont ensuite implantés dans la région qui s'appellera la Normandie, et adopté les usages français (dont la langue). Guillaume le Conquérant envahira plus tard l'Angleterre en 1066.

Dans les siècles qui ont suivi, l'Aquitaine a été l'enjeu de guerres continuelles. La France essayait chaque fois de diminuer et diviser territorialement l'Aquitaine, dès qu'un duc commençait à prendre un peu trop d'importance. C'est à cette époque que la langue d'oc cède une partie de l'Aquitaine à la langue d'oïl (le français): Saintonge, Angoumois, Poitou, Berry, suite à une colonisation intensive des Francs (Angevins, Bretons...), équipement des places fortes comme Angoulême et Poitiers, et une censure de la langue, ou est-ce le fruit du système d'enseignement promulgué par Charlemagne (écoles obligatoires) ? Toutefois, le patois saintongeais actuel (langue d'oïl), garde un vieux fond de langue d'oc, et les noms des villages se terminent toujours par "ac".


l'Aquitaine anglaise :

En 1152, la reine Aliénor d'Aquitaine épouse (par stratégie ?) Henri Plantagenêt, duc de Normandie (autrefois comte d'Anjou - ce petit comté est un véritable trait d'union dans l'espace-temps entre la Normandie/Angleterre et l'Aquitaine), qui deviendra roi d'Angleterre 2 ans après. L'Aquitaine de l'ouest passe alors sous la domination de l'Angleterre. Aucun Aquitain n'était choqué, puisque les Francs passaient pour des étrangers au même titre que les Anglais.

La capitale de l'Aquitaine était alors Poitiers (pendant 2 siècles), où Aliénor siégeait (avec les ducs d'Aquitaine), et Limoges était la ville où avaient lieu les sacres de ces rois-ducs. Bordeaux est vite devenue la capitale commerciale, puis capitale (à partir de 1204).

Lors de la Guerre de 100 ans, qui opposait les Français aux Anglais, les Aquitains ont souvent préféré les Anglais. Bordeaux, la capitale, est devenue lors un grand port de commerce (le vin) vers l'Angleterre et la Hollande. Les Anglais ont aussitôt essayé d'annexer l'Aquitaine orientale, sans succès: Toulouse est toujours restée française. Par contre, le Quercy a été rattaché.

La période de l'incapable Jean sans Terre (roi d'Angleterre impopulaire) a fait perdre la moitié nord de la partie anglaise (Anjou, Normandie, Touraine, Bretagne, etc...) au profit du roi de France, au grand désespoir d'Aliénor. Seule l'Aquitaine est restée anglaise. Ysabel Taillefer, d'Angoulême, était la femme de Jean sans Terre - fiancée enlevée (de son plein gré) à Hugues de Lusignan, comte de la Marche, ce qui a provoqué cette réaction du roi de France.

Richard Cœur de Lion, roi anglais d'Aquitaine, est mort devant le château de Châlus, dans le Limousin, qu'il assiégeait pour raison personnelle (revendication d'un trésor...). Sa mère, Aliénor, l'a pleuré. Les habitants d'Aquitaine, eux, étaient plutôt contents. À noter qu'il n'avait mis que 2 fois les pieds en Angleterre !

1258: traité de Paris. Louis IX (St-Louis), malgré qu'il ait eu la supériorité sur l'Angleterre, restitue la Guyenne (tout à partir du sud de la Charente, incluse, +Limoges, Cahors, Périgueux...) aux Anglais, mais le roi d'Angleterre/Aquitaine devient le vassal du roi de France. Le mot la Guyenne est né de ce traité: c'est le mot l'Aquitaine prononcé et déformé en anglais.

1303: début de la guerre de 100 ans, pour une histoire stupide entre Philippe-le-Bel et Edouard Ier (cause: la Guyenne, mais aussi les Flandres).

La dernière possession des Anglais en Aquitaine est le comté de l'Angoumois, qu'ils quittent en 1372 (Charles V et Duguesclin chassent le Prince Noir). Après 100 ans de guerres, les Aquitains commençaient à préférer les Français aux Anglais.

3 léopards

Mais la guerre recommence, et les Anglais reprennent la Guyenne autour de Bordeaux (période sombre où les Anglais s'alliaient aux Bourguignons contre le roi de France, qui s'est terminée par Jeanne d'Arc), que le roi de France Charles VII reprend définitivement en 1452-53 (bataille de Castillon puis conquête). Aujourd'hui, c'est souvent cette "petite Guyenne" qu'on appelle Guyenne (correspondant en gros au Bordelais et au Périgord), et c'est elle qui sera restée le plus longtemps aux mains des Anglais (3 siècles).

L'occupation anglaise de l'Aquitaine a laissé quelques traces depuis Pau jusqu'à la Rochelle: on a toujours joué au loto par exemple. La quichenotte, coiffe charentaise allongée vers l'avant, vient de l'anglais "Kiss me not".


l'Aquitaine orientale :

L'Aquitaine continentale (ou orientale, avec Toulouse), s'est séparée de l'Aquitaine atlantique (ou occidentale, avec Bordeaux) en 1119. Elle a résisté ensuite successivement contre les poussées des Anglais à l'ouest (les razzias du Prince Noir y sont tristement célèbres), puis contre les Français au nord et à l'intérieur. Un des épisodes les plus sanglants de cette dernière lutte a été les Cathares.

Cette dernière affaire met mal en point le Comté toulousain, qui disparaît définitivement en 1271, rattaché au royaume de France. Toutefois, Toulouse reste une cité assez indépendante, grâce à une assemblée de Capitouls, et s'enrichit grâce à la fabrication du pastel (teinture bleue).

Autour de cette époque, des liens forts, complexes et plutôt mal connus de l'histoire de France classique étaient établis entre:


Mais l'Aquitaine ne perdit pas son sens critique contre les institutions... Eurent ensuite lieu les guerres de religion des Protestants contre les Catholiques, sous Henri IV, avec le massacre de la Saint-Barthélémy (1572). Henri IV s'est fait assassiner par Ravaillac, dont le château était à Touvre, près d'Angoulême.

Au 17ème siècle, le gouvernement de Guyenne, en plus de la Gascogne (sauf le Béarn, qui appartenait au royaume de Navarre), couvre une grande partie de l'Aquitaine: Saintes, Angoulême, Limoges, Périgueux, Cahors, Rodez, Montauban (mais pas Toulouse) - c'est en fait l'ancienne Aquitaine anglaise.

carte de la Guyenne au 17ème siècle

De nos jours, les Aquitains ne sont pas toujours conscients de ce riche passé, et l'Aquitaine n'est actuellement plus réduite qu'à la Gascogne. Cela ne leur ferait même sans doute plus rien si on débaptisait le nom de la région administrative "Aquitaine" (5 départements: 24,33,40,47,64) en "Sud-Ouest". Quant au journal Sud-Ouest, il couvre, depuis sa fondation (à la Libération) la région des Charentes jusqu'aux Pyrénées-Atlantiques (départements 16,17,24,33,40,47,64). Quant à l'ancienne Aquitaine, elle recouvrait les régions administratives actuelles Aquitaine, Midi-Pyrénées et Poitou-Charentes (et débordait à quelques époques dans les régions Centre, Auvergne, et Languedoc).

Sinon, avant le 12ème siècle, l'histoire de Aquitaine souffre d'un manque cruel d'archives écrites, alors que c'était la province la plus riche de France. Mais sa civilisation était alors tournée vers la Méditerranée, et les Francs ont beaucoup censuré, que ce soit la langue (romane), les chansons des troubadours, la littérature... Beaucoup d'écrits sont passés à la trappe. Les seules littératures officielles avant cette époque comme après sont en fait celles de la moitié nord de la France: Ronsard, etc..., en langue d'oïl (français). Seuls les écrits en latin ont résisté (ce qui était la koïné de l'époque), langue écrite qui n'a été autorisée que jusqu'au décret de Villers-Cotterêts (1539), qui rendait le français langue officielle. Paradoxalement, ce sont dans les musées anglais qu'on trouve le plus d'écrits en occitan de l'époque (gascon, limousin, saintongeais, poitevin), à cause donc de l'histoire.

On peut ressentir la proximité de la vieille civilisation gallo-romaine de l'Aquitaine quand on lit par exemple Montaigne: Journal de voyage, qui traverse à cheval, en 1580 et 1581, et compare plusieurs régions, dont la sienne (bien sûr) - le château de Montaigne est près de Sainte-Foy-la-Grande - les Vosges, la Suisse, l'Allemagne, l'Autriche, et enfin l'Italie où il tourne longtemps. On peut aussi la ressentir quand on lit les lettres de Sidoine Apollinaire, issu d'une ancienne famille gallo-romaine, et qui décrivait les invasions barbares et l'occupation des Wisigoths. Tous avaient la nostalgie de cette paix romaine (puis anglaise ?) en Aquitaine, d'opulence, de douceur de vivre, de civilisation et de négoce. A noter cependant que si Montaigne est connu, c'est parce que c'est le premier écrivain aquitain en français.

Pour conclure sur cette douceur de vivre, voici une lettre d'Ausone qui invite son ami Théon à passer un week-end dans sa villa au bord de la Dordogne (près de Libourne), ainsi qu'une lettre de Sidoine à son ami Leontius (pour la même chose), vers 463. Autre site sur Ausone: Ausone l'épicurien


 

Lectures Quelques livres:
  • L'Aquitaine des Wisigoths aux Arabes, Michel Rouche (univ. Lille2, 1977)
  • Histoire des Francs, par Grégoire de Tours (Belles Lettres)
  • L'histoire oubliée de l'Aquitaine, Xavier Beltour (éd. Prince Noir)
  • La société laïque dans la Charente aux 10ème-12ème siècles, André Debord (Picard)
  • Montaigne à cheval, Jean Lacouture (Seuil)
Quelques liens:

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