Le Prince Noir

 

Le roi Edouard III avait dès 1355 confié le sort de la principauté d'Aquitaine à son fils aîné, Edouard de Woodstock, prince de Galles, connu sous le nom de « Prince Noir ». Celui-ci s'était installé à Bordeaux comme lieutenant du roi-duc, de 1355 à 1357. Vainqueur de Jean le Bon, il séjourne à nouveau en Gascogne de janvier 1363 à janvier 1371 avec le titre de Prince d'Aquitaine. Sa personnalité exceptionnelle, son rayonnement, qui frappent les contemporains - Froissart entre autres - en ont fait un personnage de légende. S'il fait de Bordeaux sa capitale et lui donne un essor dont les Bordelais garderont la nostalgie pendant trois siècles, il séjourne volontiers en Angoumois, à Cognac et Bouteville, mais surtout à Angoulême où il tient une cour brillante:

[...] estoient li princes et la princesse en Angouloime. Et là devoit avoir moult proçainnement une très grande feste de quarante chevaliers et de quarante escuiers, attendans dedens que madame la princesse devoit bouter hors de ses cambres à sa relevée, car elle estoit accoucée d'un biau fil qui s'appelloit Edaowars ensi com son père. Sitôt que li princes sceut la venue du roy de Cipre, il envoia devers lui par espécial Monseigneur Jean Chandos et grant fuison de chevaliers de son hostel, qui l'amenèrent en grant reviel [allégresse] et moult honorablement devers le prince [...] [celui-ci] le reçut liement [avec joie]. Ossi firent tout li baron et li chevaliers de Poito et de Saintonge qui dalès le [à côté du] prince estoient, li viscontes de Touwars, li jones sires de Pons, li sires de Partenai [...] Si fut li roys de Cipre moult festiés et bien honnourés dou prince, de la princesse, des barons et des chevaliers dessus dis, et se tint illuech plus d'un mois... Et quant il eut partout esté, il retourna en Angouloime et fu à celle grosse feste que li princes y tint, où il eut grant fuison de chevaliers et d'escuiers.(Froissart).

Le 18 août 1363, et les jours suivants, « en la cyté d'Angolesme dans la salle du chastel », il reçoit les hommages des principaux seigneurs de l'Angoumois.

Dans la période de paix qui s'étend jusqu'en 1366, il consolide son administration. Mais la guerre de Castille va tout remettre en question. Au traité de Libourne, 23 septembre 1366, Edouard s'allie à Pierre 1er le Cruel, détrôné par son frère bâtard, Henri de Transtamare, qui a l'appui des Français en la personne de Du Guesclin et de ses grandes compagnies, dont le dauphin Charles a jugé expédient de débarrasser notre territoire. En 1367, le Prince Noir écrase Henri à Nájera, où il fait prisonnier Du Guesclin et Arnoul d'Audrehem, et replace Pierre le Cruel sur le trône de Castille. Mais ce dernier refuse, contrairement à ses engagements, de payer les frais de la guerre, charge écrasante qui retombe sur les finances du prince de Galles. Ce dernier doit se retourner vers ses sujets et réunit les Etats à Angoulême en 1368, pour obtenir - malgré le conseil de Chandos - la levée d'un fouage de 10 sols tournois par feu. L'impôt, levé normalement dans les débuts, provoque la rébellion de Jean d'Armagnac et d'Amanieu d'Albret, qui font appel au Parlement de Paris. Charles V reçoit les appels et cite le Prince Noir à comparaître en janvier 1369 devant la Cour des Pairs. Devant son refus, Charles V déclenche les hostilités, confiant à son frère, Jean de Berry, le commandement de la campagne.
C'est alors, en peu d'années, l'effondrement de la brillante principauté d'Aquitaine. Tandis que les Anglais se dispersent en vaines chevauchées, Du Guesclin reconquiert le territoire de la Guyenne grâce à ses routiers. Il est nommé connétable en 1370. Les provinces méridionales ont abandonné le prince simultanément, à commencer par le Rouergue (1368). L'offensive française est foudroyante: le Quercy, le Périgord, l'Agenais, la Bigorre tombent aux mains des Français. Jean Chandos est tué à Lussac-les-Châteaux en 1370 et le Prince Noir, atteint d'hydropisie, rentre en Angleterre en 1371, pour y mourir cinq ans plus tard.

Extrait du livre "Histoire d'Angoulême et de ses alentours", édition Privat, Toulouse, 1989.

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